Nos coups de c½ur

#Roman

Un bijou de douceur et d'intelligence sur les empreintes familiales

Du Même bois

Marion FAYOLLE

Du Même bois

Ed. Gallimard - janvier 2024
Prix : 16.50 ¤
9782073025814

Oh! Marion Fayolle dont on adore les albums chez Magnani (Les Petits, Les Coquins, Les Amours suspendus...) a publié chez Gallimard! Vite, vite, vite! Il faut lire Du Même bois! un livre tout en douceur, en nostalgie, tout en pudeur et oh! combien juste sur la famille, la construction de soi, sur comment on pousse dans la vie, à l'ombre de, appuyé contre, comment on traîne des valises qui ne nous appartiennent pas vraiment, remplies de non-dits, de traditions, d'habitudes... C'est un TRES joli roman, TRES touchant, très TENDRE et TELLEMENT, mais TELLEMENT vrai! Il touche au coeur. Et ses mots justes, simples et poétiques résonnent longtemps.

En quinze courts chapitres dont chaque titre comporte un article défini et un nom très générique (donc universel même si très personnel puisque c'est un roman largement autobiographique) tel "LA ferme", "LA gamine", "LA ressemblance", "LES mères"... comme une liste de personnages qui vont jouer un rôle important dans une pièce de théâtre (mais c'est finalement le petit théâtre de la vie qu'on va lire ici), Marion Fayolle dresse le portrait d'une famille modeste, en milieu rural, par petites touches avec un pinceau délicat. L'utilisation du présent renforce cette impression d'être spectateur au théâtre, crée une immédiateté, une proximité qui nous emporte directement. On est dans la ferme, dans l'étable puisque c'est de là que tout commence, c'est le cœur de l'histoire: "Ici on fait toute sa vie sous la même toiture, on naît dans le lit de gauche, on meurt dans celui de droite et entre-temps, on s'occupe des bêtes à l'établi."

Il y a dans ce court roman une prégnance forte de la poésie. L'autrice utilise des images simples mais très parlantes: pour évoquer la mélancolie de la petite fille de l'histoire, cette tristesse transmise par ses parents malgré eux, qui "remonte (...) par capillarité", elle convoque l'image du papier carbone: "la mélancolie se reproduit, se réplique, se photocopie, ça a dû appuyer fort sur le papier carbone pour que ça transperce autant, que ça laisse les marques sur toutes les feuilles". Elle fait des parallèles entre le vêlage et l'accouchement, entre les taches de la vache et celles de la fille, celles qu'elle porte en dedans, malgré les efforts déployés par la mère pour la protéger, l'éloigner de la salissure.

Du Même bois contient de véritables petits trésors, des trouvailles trop jolies: un chapitre traite des "Petitous", diminutif connu et affectueux pour désigner les enfants qui deviennent chez Marion Fayolle des "petits touts", de véritables petits morceaux de leurs parents, de leurs grands-parents et de tous ceux avant eux. C'est dur d'être soi quand on est fait des autres. La mémé, la mère, la fille sont faites du même bois. Mais on a le droit d'en avoir marre de ces ressemblances constamment évoquées pour tout expliquer. On a le droit d'"en avoir marre de la soupe". On peut refuser l'héritage.

Marion bouscule les codes de la narration en ôtant les marqueurs du discours direct, mêlant ainsi le récit et le discours et accentuant ainsi la sensation d'immersion dans l'histoire. Inutile de préciser qui parle ou sur quel ton, c'est entendu, évident: (les parents sont invités par les enfants à venir déguster la potion préparée par les enfants) "les invités boivent la soupe en la vidant par terre, qu'est-ce qu'elle est bonne!"

Mais j'en ai déjà trop dit. C'est à mes yeux le plus joli texte de cette rentrée littéraire d'hiver et une incursion réussie dans la littérature "blanche" chez Gallimard! C'est un livre à lire, à offrir. Et si vous ne connaissez pas encore le travail graphique de Marion, venez le découvrir à La Petite Librairie! On adore!

[Laure]